LIEUX DE LIEN - État des lieux et proposition politique

Novembre 2024

1. Les lieux de lien, d’une mouvance à un réseau

Le monde associatif bruxellois propose depuis des décennies des lieux d’accueil et d’initiative citoyenne dit actuellement communément « à bas seuil » dans le secteur de la santé mentale. Ces lieux sont notamment héritiers de la grande mouvance de l’antipsychiatrie, de la thérapie institutionnelle comme de l’éducation populaire, de la cohésion sociale, de l’éducation permanente et ses interfaces avec la culture au sens large, de divers maillages social-santé, etc. Dans cette généalogie ont émergés notamment dans le passé les clubs thérapeutiques, les multiples projets communautaires d’initiatives en santé mentale, des communautés thérapeutiques, foyers divers et maisons de quartier, AMO, maisons de cohésion sociale, etc…

Leur ouverture à ces multiples facettes de la vie citoyenne en fait des acteurs précieux dans le tissage et retissage des citoyens en souffrance mentale avec la vie courante de chacun d’entre nous, œuvrant à la déstigmatisation de la notion de santé mentale et la remobilisation des forces vives de chaque citoyen dans sa capacité à recréer la formule de vie qui lui convient.

Ce champ d’action multilatéral n’en facilite pas toujours la définition et donc le soutien par les pouvoirs subsidiant qui fonctionnent par Ministères, publics cibles et missions spécifiques.

Dans la suite de la crise sanitaire et aussi peu avant, certains lieux dit « de lien » ont émergé d’initiatives interinstitutionnelles et citoyennes, en réponse aussi à l’appel à projet du Plan de Relance et de Redéploiement post-covid (PRR). Cet appel a cristallisé l’appellation « Lieux de lien » proposée dans l’étude Parcours.Bruxelles menée par Carole Walker, Pablo Nicaise, Sophie Thunus en février 2019 sur l’état des lieux bruxellois à ce niveau.

C’est donc sous cette appellation que le travail spécifique et souvent interconnecté de ces associations (et le souhait de l’étoffer), a cherché à s’officialiser en réseau des « Lieux de lien », répertorié pour plus de visibilité et comme outils pour l’ensemble des citoyens, en guide des « Lieux de lien ». Les rencontres inter-lieux de lien et ce guide ont clairement facilité la circulation des citoyens d’un lieu à l’autre, renforçant encore le métissage et le maillage citoyen.

Durant la période de la législature qui se termine, ces lieux ont plus que jamais fait leur preuve. Le public des lieux de lien s’accroît de façon continue, la richesse de leurs initiatives se développe. Le modèle qu’ils constituent a contribué en 2024 à une nouvelle recherche à laquelle Sophie Thunus participe sur la désinstitutionalisation en Europe où les Lieux de lien peuvent faire figure de modèles. Ce réseau montre combien l’association des forces vives du secteur professionnel santé mentale et des divers acteurs et services culturels, sociaux, communaux et santé en général, aux côtés des citoyens eux-mêmes comme acteurs de leur devenir est cruciale. Il en va de la co-création d’une réponse collective au mal-être croissant dans notre société lié à l’isolement, la précarisation, la fragilisation mentale, etc. Il en va aussi du retour d’un modèle de société où le partage revient au cœur des préoccupations.

Le temps est maintenant au bilan et au regard vers l’avenir.

 

2. Lieux de lien : focus non limitatif sur ses multiples enjeux et résultats

Les lieux de lien proposent une action citoyenne d’accueil et d’initiatives inclusive de personnes en souffrance mentale et menée dans un champ social le plus ouvert possible.

L’esprit général des lieux de lien

  • santé
    • accueil à bas seuil de personnes en souffrance mentale et de citoyens du tout-venant

    • développer une souplesse d’action face à ce qui déborde des normes sociales (consommations, crises, …)

    • soutenir la diversité des pratiques et des comportements

    • favoriser l’accès au soin pour les personnes en grande souffrance psychique

    • offrir des lieux charnières où se poser aux personnes en souffrance dans un contexte actuel où le secteur psychiatrique et social est dépassé par l’amplitude des besoins.

    • accueillir un public qui dans le contexte social santé actuel serait en errance et répondre par-là aux politiques sociales du PSSI

    • servir de SAS d’attente pour des hôpitaux de jour saturés

    • accueillir le public des hôpitaux dans leurs projets post-hospitalisation

    • offrir des lieux alternatifs aux gestions sécuritaires strictes qui permettent aussi de soulager les gardiens de la paix

    • travailler au tissage de la confiance entre les acteurs sociaux et les lieux d’accueil dans un travail de prévention.

  • citoyenneté (nous entendons par là l’ensemble des acteurs d’une société indépendamment de leur réalité administrative et sans prérequis administratif)
    • s’adresser au citoyen et non au malade

    • permettre de se déposer au sein d’un groupe qui s’organise en communauté ouverte

    • favoriser le maillage citoyen global

    • lutter contre l’anonymisation

  • culture, éducation permanente, cohésion sociale, …
    • tendre la main à la créativité de chacun

    • valoriser l’expertise d’expérience de chacun

    • encourager le partage de savoir et l’acquisition de nouveaux savoirs

    • lutter contre la massification de l’humain, les effets de soumission aux chefs

    • accueillir les flux sociaux comme une plastique sociale qui se tord, se concatène, se dissout et se remanie en continu comme source de nouveaux possibles individuels et collectifs

    • articuler les enjeux sociaux, subjectifs et environnementaux

    • travailler à une santé publique globale située à l’intersection entre la santé, le culturel, l’éducation populaire, la cohésion sociale, …

    • soutenir une économie sociale par l’ensemble de nos partenariats dans le champ du non-marchand, soutenir les communes à ce niveau également

Un abécédaire des Lieux de lien complète ce descriptif dont il reflète la diversité et la cogestion citoyenne en work in progress. Cliquer ici pour le consuter.

 

De multiples incidences

  • échapper aux aliénations institutionnelles qui confinent les personnes dans le statut de malade
  • raccorder les personnes en souffrance dans un réseau diversifié qui fasse soin
  • développer des interactions les plus spontanées possibles entre les citoyens
  • ouvrir un espace de parole singulière
  • retisser un réseau social multiple, métissé
  • favoriser une intégration sociale, réduire les effets ghetto
  • soutenir la dimension politique de cet engagement
  • intégrer tout citoyen dans un projet collectif à portée authentiquement politique

Différents modes d’action

  • soutenir la gratuité d’accès et la circulation spontanée au sein de la société dont les divers lieux de lien et leurs interconnections sociétales ouvertes
  • aucune condition d’accès de type administratif ou médical
  • soutenir le questionnement de chacun au départ de ce qu’il sait déjà
  • enrichir l’expérience de multiples interactions dans des processus d’échanges continus avec une diversité de partenaires
  • laisser des vides, l’ennui, le relâchement comme possible gestation
  • laisser la place à l’imprévu et à l’indécidable duquel surgissent de nombreuses surprises créatives
  • soutenir la cogestion
  • favoriser la prise de parole en public
  • soutenir la relance continue d’initiatives micropolitiques dont le réseau en soi des lieux de lien

De multiples résultats

  • réduction de l’isolement des personnes par la création de nouveaux réseaux sociaux, culturel et santé
  • remise au travail de certains jeunes
  • déstigmatisation de la santé mentale
  • implication de certaines familles qui découvrent la richesse des personnes concernées
  • réduction des hospitalisations
  • nouvelles perspectives post-hospitalisation
  • découverte et partage de nouveaux savoirs
  • augmentation de la capacité d’agir et d’entreprendre
  • meilleur accès à la culture et au soin

3. Problématique des Lieux de lien

Le réseau dessiné sur base de pratiques convergentes est constitué d’associations aux historiques et modes de subsidiations très divers ( COCOF,  COCOM, IRISCARE, FWB Education permanente, Promotion de la santé, Associations en transition, aides communales, soutien de réseaux, etc….).

Ces multiples subsidiations témoignent de la diversité des secteurs dans lesquels elles s’investissent comme la cohésion sociale, l’éducation permanente, la santé communautaire,  la culture comme mode de vie en continue création, la citoyenneté participative, …

La reconnaissance de ce réseau touche donc à différents enjeux en fonction de l’historique de chacun, de sa localisation, de son public et de ses besoins spécifiques.

Travaillant à un modèle de pratique collective désinstitutionnalisant, aux prises avec la création citoyenne continue, la définition des Lieux de lien doit rester la plus ouverte possible et ses modes de subsidiation devraient pouvoir ne pas s’exclure.

4. Propositions politiques

1/ Une pérennisation par le vote d’un décret ordonnance santé mentale communautaire en Cocom

Le décret ambulatoire voté en 2024 en Cocof a permis à certains Lieux de lien une pérennisation par leur rattachement au réseau des SSM ou au réseau santé comme Epsylon.

Certains Lieux de lien ont souhaité maintenir leur structure interinstitutionnelle étant donné la philosophie de pratique ouverte décrite ci-dessus.

Toutefois la logique des subsidiations annuelles occasionnent des périodes de latence de subsides qui supposent des cash flow dont ces associations ne disposent pas et qui empêchent de penser les projets à moyen et long terme. La précarisation guette alors les professionnels eux-mêmes censés travailler à ces problématiques dans les projets auxquels ils œuvrent.

Le politique n’ayant pas eu le temps lors de la législature précédente de voter un décret pour ces lieux en Cocom, nous demandons la poursuite de cette réflexion et l’aboutissement d’un décret ordonnance santé mentale communautaire.

 

2/ Une diversité d’initiatives et modes d’action soutenue et renforcée par des conférences interministérielles

Si l’enjeu de la santé mentale doit être clairement identifié, il doit aussi être déstigmatisé, décloisonné, désenclavé institutionnellement, en termes de pratiques, de pouvoir de pensée et d’agir des professionnels et des citoyens.

La diversité des modes d’action gagne à ne pas être uniformisée dans des pratiques standardisées. Cette diversité peut alors soutenir la multiplicité des pratiques issues du métissage des publics et des parcours institutionnels divers, source de créations multiples dans le champ social santé et ses interfaces avec la culture, l’éducation permanente, etc.

Cette diversité est donc fondamentale pour la vie des citoyens tant pour ceux qui sont en parcours de rétablissement que pour les institutions elles-mêmes et leurs travailleurs qui doivent pouvoir innover afin de garder une pratique vivante.

Le soutien des Lieux de lien devrait donc pouvoir venir non seulement du Ministère de la santé dont le public est bien sûr concerné mais pourrait aussi venir de différents accords interministériels bilatéraux reflétant la diversité et l’ouverture du travail de ce réseau (accord santé-culture, santé-cohésion sociale, santé-sport, santé-égalité des chances, santé-éducation permanente, etc…). Nous connaissons déjà ce type d’accords dans le milieu par exemple des Centres d’Expression et de Créativité situés dans l’interface de la santé mentale et de la culture.

Actuellement, certains Lieux de lien ont perdu leur reconnaissance annuelle depuis le PRR et souhaitent la recouvrer, d’autres souhaitent l’obtenir sans encore y être parvenus et certains ont obtenu une enveloppe budgétaire qui ne s’avère plus suffisante du fait de leur déploiement.

 

NOUS DEMANDONS DONC

  • Un renforcement du soutien des Lieux de lien et leur pérennisation.

Agrandir les équipes de travailleurs semble actuellement incontournable si nous souhaitons garder l’amplitude de travail engagé et les fruits de cet engagement auprès de nos publics.

Ce renforcement doit aussi porter sur les postes administratifs ou en complément aux coordinations qui les dégage partiellement de charges trop lourdes à ce niveau qui empiètent trop sur les véritables missions des coordinateurs (coordinations avant tout de projets, d’intervenants y compris de bénévoles, de mise en réseau des lieux de lien et des partenaires multilatéraux).

Ce soutien renforcé pourrait prendre aussi une dimension cogérée entre nos associations comme nous tentons de le mettre en place au sein de chaque association avec nos membres (budgets globaux à répartir pour des séjours en ruralité, achats groupés, sorties collectives, …). Par cette communautarisation le travail collectif se tisserait encore davantage, les personnes seront encore plus invitées à s’enrichir des expériences des différents lieux, à créer des espaces de circulation dans la ville, à tisser davantage de relations, à réinventer leur vie sur de multiples modalités et dans une logique de complexité menée au plus près de la spontanéité d’une vie en société.

Ce renforcement reste dans des échelles de budgets sans commune mesure aux structures de soin habituelles tout en soutenant la continuité de l’investissement humain et financier déjà engagé depuis la création des Lieux de lien.

  • Une mention des Lieux de lien, de leur renforcement  et du projet de leur pérennisation dans la déclaration de politique générale de la prochaine législature.

Outre cette mention, nous demandons que figure cette possibilité d’accords interministériaux qui permettront de garantir la pérennisation de la diversité des Lieux de lien, et de leur richesse d’initiatives et modes d’action.

  • Une coconstruction entre les acteurs de terrain et le politique

Cette proposition vise à chercher à contribuer à une réflexion commune entre les acteurs de terrain et le politique en vue de continuer à construire ensemble ce réseau concrétisé durant la législature précédente, réseau qui souhaite porter une vision large de la psychiatrie et de la santé, intrinsèquement liée à la citoyenneté.

 

Nous demandons pour entamer cette réflexion une audience auprès des formateurs actuels du futur gouvernement.

 

Proposition rédigée au nom des Lieux du lien, soutenus par La Ligue de santé mentale bruxelloise et La Plateforme bruxelloise pour la santé mentale.